Le principe de Jordan : Lignes directrices sur l’intérêt supérieur de l'enfant
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Cet outil fournit des conseils sur l'intérêt supérieur de l'enfant et sur la mise en œuvre du principe de Jordan par le Canada. Il permet de mieux comprendre l'expression « intérêt supérieur de l'enfant ».
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Résumé
Dans le cadre de l'examen des demandes présentées au titre du principe de Jordan au gouvernement du Canada, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être pris en considération. Cela signifie que les demandes de produits, de services et de mesures de soutien nécessaires doivent permettre de faire en sorte non seulement que le principe d'égalité réelle soit respecté, mais aussi que la sécurité et le bien‑être de l'enfant soient pris en compte dans le processus décisionnel.
Contexte et définition d'un droit
Les Nations Unies définissent un droit de la personne comme « un droit inaliénable de tous les êtres humains, peu importe leur race, sexe, nationalité, ethnicité, langue, religion ou toute autre condition ».
Le gouvernement du Canada souhaitant favoriser la réconciliation avec les peuples autochtones, un changement de paradigme est nécessaire pour favoriser la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et le partenariat. La mise en œuvre du principe de Jordan conformément aux décisions rendues par le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) est une part essentielle de ce travail puisque le gouvernement fédéral doit collaborer avec les peuples des Premières Nations pour créer un système de soutien et de services qui tient compte de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Le principe de Jordan est un principe juridique conçu pour lutter contre la discrimination et combler les lacunes dans les services financés par le gouvernement susceptibles d'entraîner un retard, une interruption ou un refus des services aux enfants des Premières Nations. En 2017, le TCDP a tranché que lorsqu'un service financé par le gouvernement n'est pas nécessairement offert à tous les autres enfants ou qu'il excède la norme en matière de soins, le ministère contacté en premier évaluera les besoins de l'enfant pour déterminer si le service demandé doit être fourni afin d'accomplir ce qui suit :
- assurer l'égalité réelle;
- assurer la prestation de services adaptés à la culture;
- protéger l'intérêt supérieur de l'enfant.
L'évaluation des demandes doit également tenir compte des besoins de l'enfant découlant du désavantage historique de même que des inégalités et des lacunes quant à l'accessibilité à des services publics adaptés sur le plan culturel.
Le principe de Jordan reconnaît aussi ce qui suit :
- les enfants sont d'importants bénéficiaires des services publics, par exemple programmes d'enseignement, de santé, de loisirs, de garde d'enfants et autres programmes sociaux, et les enfants des Premières Nations ont été mal desservis de façon disproportionnée par les services de protection de l'enfance, les services de justice juvénile et les services destinés aux jeunes. Les enfants des Premières Nations sont donc les plus touchés par les répercussions voulues ou non des politiques et des services;
- fondamentalement, les enfants des Premières Nations doivent pouvoir se fier au principe de base voulant que toute autorité à laquelle ils ont affaire les traitera dans le respect de leurs droits et de leur intérêt supérieur;
- les désavantages historiques et les répercussions intergénérationnelles de la colonisation, comme l'impact du système de pensionnats indiens et de la rafle des années 1960;
- la discrimination découlant de la prestation inéquitable de services publics au Canada ou le refus de ceux‑ci;
- les nombreuses expériences traumatiques des enfants, des familles et des communautés des Premières Nations.
Pour appliquer le principe de Jordan, le gouvernement doit se rappeler et reconnaître que nombre des désavantages historiques et des répercussions intergénérationnelles liés à la colonisation se fondaient sur un concept colonial de l'intérêt supérieur de l'enfant. Par exemple, selon le « Règlement de 1894 relatif à l'éducation des enfants Sauvages », si un agent des affaires indiennes était d'avis que les parents « étaient incapables ou ne voulaient pas pourvoir à l'éducation de l'enfant » ou qu'un enfant des Premières Nations « ne recevait pas les soins nécessaires », il pouvait délivrer un mandat aux termes duquel l'enfant était placé dans un pensionnat.
Des justifications similaires ont été utilisées pour expliquer la transformation des pensionnats en établissements de protection de l'enfance, transformation qui se fondait sur le principe selon lequel certains parents des Premières Nations n'étaient pas en mesure de prendre soin de leur enfant. Comme l'a souligné la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996, ces évaluations se faisaient « bien entendu, en fonction de critères non autochtones ». De plus, pendant la rafle des années 1960, qui a laissé des cicatrices psychologiques profondes et durables sur les enfants et les communautés des Premières Nations, les intervenants du gouvernement qui ont placé des milliers d'enfants des Premières Nations dans des familles non autochtones ont pris des décisions qui, selon eux, étaient dans l'intérêt supérieur de ces enfants.
La mise en œuvre du principe de Jordan permet de veiller à ce que tous les enfants des Premières Nations puissent obtenir les produits, les services et les mesures de soutien dont ils ont besoin, au moment où ils en ont besoin. Afin de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, le principe de Jordan reconnaît qu'il faut comprendre l'incidence des traumatismes intergénérationnels ainsi que le rôle de l'enfant dans la famille et la communauté pour prendre toutes les mesures qui s'imposent afin de s'assurer que chaque enfant des Premières Nations puisse réaliser son plein potentiel dans le respect de sa propre culture.
Application de l'intérêt supérieur de l'enfant
Le TCDP a ordonné au Canada de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant lors de son évaluation des demandes présentées aux termes du principe de Jordan.
La Convention relative aux droits de l'enfant (CDENU) de 1989 est le principal traité sur les droits de la personne des Nations Unies portant sur la protection de l'enfant. Il compte 4 grands principes :
- Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (article 3).
- Les droits de l'enfant doivent être garantis indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou autre, de son origine nationale, ethnique ou sociale, de sa situation de fortune, de son incapacité, de sa naissance ou de toute autre situation (article 2).
- Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie et doivent assurer dans toute la mesure possible la survie et le développement de l'enfant (article 6).
- Il doit être donné à l'enfant le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération selon son âge et son degré de maturité (article 12).
Comme le Canada a ratifié cette convention en 1991, il doit tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant en tant que pierre angulaire de l'application du principe de Jordan.
La protection de l'intérêt supérieur de l'enfant est un des grands principes fondés sur les droits de l'enfant dont il est fait état au paragraphe 3(1) de la CDENU :
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. »
De plus, en ce qui concerne les enfants autochtones, l'article 30 de la CDENU précise que l'enfant :
« ne peut être privé du droit d'avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d'employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe ».
En tant que droit substantiel et principe directeur visant à assurer l'entière jouissance de l'ensemble des droits établis dans la CDENU, l'intérêt supérieur de l'enfant est directement lié au développement général de ce dernier et demande l'adoption d'une approche fondée sur les droits qui fait la promotion de la dignité humaine de l'enfant. Comme il est reconnu dans l'observation générale 11 du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies sur les enfants autochtones et leurs droits au titre de la convention, les enfants autochtones « ont besoin de mesures spéciales pour exercer pleinement leurs droits ».
La CDENU est un traité international relatif aux droits de la personne juridiquement contraignant que le Canada a ratifié afin que tous les gouvernements soient tenus de prendre toutes les mesures qui s'imposent pour assurer que les enfants profitent pleinement de leurs droits aux termes de la Convention. Pour respecter ses obligations au titre de la CDENU, il est important que le gouvernement du Canada tienne compte des possibles répercussions des lois, des budgets, des politiques, des programmes et des pratiques sur les droits des enfants. Lorsqu'il offre des services et des mesures de soutien, le gouvernement du Canada est tenu de prendre toutes les mesures qui s'imposent pour assurer la protection de l'enfant contre la discrimination. L'intérêt supérieur de l'enfant ainsi que son droit à la non-discrimination sont tous deux des « principes généraux » de la CDENU et se renforcent mutuellement.
Compte tenu de l'héritage reposant sur la déshumanisation, le colonialisme et l'oppression auquel les enfants des Premières Nations ont fait face pendant une bonne partie de l'histoire du Canada, la prise en considération de l'intérêt supérieur de l'enfant est contextuelle et nécessite une évaluation au cas par cas.
Processus utilisé pour prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant
La mise en application de la perspective de l'intérêt supérieur de l'enfant au titre du principe de Jordan exige une évaluation de l'information et la prise en compte des circonstances de chaque enfant ou groupe d'enfants d'une façon qui soit adaptée à l'âge de l'enfant, à sa capacité, à son diagnostic, à ses besoins, à sa maturité et à ses circonstances.
Les décisions rendues au sujet de la sécurité et du bien‑être des enfants des Premières Nations devraient se fonder sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et les principes ci-après :
Chaque enfant des Premières Nations a le droit :
- de vivre dans un environnement sain et sécuritaire lui permettant de réaliser son plein potentiel;
- d'être aimé d'une façon donnant un sens à sa vie et qu'on lui accorde dignité et soutien;
- qu'on valorise et respecte son identité culturelle et ses besoins linguistiques;
- d'avoir accès à ses terres, ressources et enseignements traditionnels;
- de ne faire l'objet d'aucune discrimination et de n'être exposé à aucune des répercussions à long terme des désavantages;
- d'entretenir une relation saine et réconfortante avec sa famille (y compris ses frères, sœurs et membres de la famille élargie), sa communauté et sa nation;
- d'avoir accès en temps opportun à des mesures de soutien et des services d'une qualité équivalente à ceux offerts aux enfants non autochtones;
- qu'on réponde à tous ses besoins physiques, sensoriels, intellectuels ou de santé mentale afin d'assurer l'égalité réelle;
- que ses droits en matière d'éducation, de santé et d'environnement sécuritaire soient respectés.
Le terme « intérêt supérieur » décrit en mots généraux le bien‑être d'un enfant, qui peut être déterminé par diverses circonstances individuelles, comme l'âge, l'état de santé, la présence ou l'absence de parents, l'environnement de l'enfant et les expériences de vie.
Lorsque Services aux Autochtones Canada (SAC) reçoit une demande au titre du principe de Jordan, les employés du ministère doivent tenir compte des facteurs suivants afin de dûment prendre en considération l'intérêt supérieur d'un enfant des Premières Nations :
- Les enfants des Premières Nations et leur famille, leur tuteur et leur communauté sont les experts de leur propre vie et demeurent les plus aptes à déterminer ce qui sert leur intérêt supérieur; ils doivent défendre les intérêts de l'enfant pour veiller à ce que les décisions prises garantissent la protection et l'amélioration de la santé et du bien‑être de l'enfant.
- Il faut tenir compte de l'ensemble de la situation de l'enfant et de ses besoins, y compris de son bien‑être physique, émotionnel et spirituel en ce qui a trait à son droit de grandir en tant que membre de son groupe culturel.
- Il faut tenir compte des circonstances de l'enfant et des répercussions possibles sur son bien‑être et son développement.
- Il faut prêter une attention particulière ou apporter des soins précis pour s'assurer qu'un enfant a accès aux produits, aux mesures de soutien et aux services de santé, d'éducation ou sociaux nécessaires pour améliorer ses résultats et se développer dans la dignité.
- Le redressement demandé respecte et protège les droits de l'enfant en tant que membre d'une Première Nation.
D'autres facteurs peuvent aussi avoir une influence :
- La nécessité d'obtenir une réponse rapide selon les besoins de santé ou en matière de développement de l'enfant et l'incidence sur son développement d'un retard dans la prestation de services et de mesures de soutien;
- Si l'enfant a eu l'occasion de se prononcer sur toutes les questions le touchant en fonction de sa capacité et de sa maturité liées à son stade de développement.
Les questions suivantes orientent une approche globale de l'intérêt supérieur de l'enfant au moment d'évaluer une demande d'application du principe de Jordan :
- A‑t‑on pris en considération l'ensemble de la situation de l'enfant et ses besoins, y compris son bien‑être physique, émotionnel et spirituel en ce qui a trait à son droit de grandir en tant que membre de son groupe culturel?
- A-t-on pris en considération le respect et la protection des droits de l'enfant en tant que membre des Premières Nations?
- Les mesures prises permettront‑elles à l'enfant de conserver un sens de l'identité, d'appartenance, d'acceptation et de connexion au sein de sa communauté?
- Comprenez‑vous les circonstances de l'enfant et l'incidence possible sur son bien‑être et son développement?
- A‑t‑on pris en considération la protection de la sécurité et de l'intégrité des soins offerts à l'enfant au sein de sa famille et de sa communauté?
- Les droits de l'enfant relatifs à l'éducation, à la santé et à la sécurité ont‑ils été respectés?
- Les points de vue de l'enfant ont‑ils été pris en compte et une importance leur a‑t‑elle été accordée en fonction de l'âge et du degré de maturité de ce dernier?